AUTODAFES :
DESTRUCTION DE LIVRES
Dans un précédent chapitre, nous avons évoqué le pilon, une destruction de livres, volontaire, précise, mesurée... qui trouve son origine dans une économie financière et de gestion des stocks, malheureusement, tous les livres ne peuvent se vendre ni se stocker. Ces destructions, permanentes, ne sont pas des autodafés, même contemporains, car il n'y a pas de symbolique ni de rattachement aux croyances et valeurs humaines. la disparition volontaire de livres est comparable à un autoritarisme fanatique pour annihiler la pensée d'un écrivain, d'un auteur, contre la diffusion du savoir.Autodafe ? définition que nous reprenons ici : "cérémonie expiatoire au cours de laquelle étaient lues et exécutées les sentences prononcées par l'Inquisition. Le terme « autodafé » désigne la destruction rituelle de livres ou autres écrits par le feu. Généralement réalisé en public, l'autodafé est un aspect de la censure et résulte habituellement d'une opposition culturelle, religieuse ou politique aux idées exprimées dans ces livres."
Même si l'histoire de la vie des livres n'est pas celle de leur destruction, qui en reste néanmoins une composante car liée au pouvoir, les cas avérés d'autodafe ont marqué l'histoire, reflétant l'importance d'actes touchant aux livres, du moins leurs rôle central dans la vie publique. Au delà des croyances et faits historiques, propres à chaque époque, et que de notre prisme contemporain, nous considérons cela comme une barbarie, la destruction de livres restait symbolique, toute une population était peu lettrée ou peu encline à lire les livres interdits, censurés, et ensuite brulés ou détruits par l'Inquisition ou l'Eglise.
Dans un cadre plus récent, en 2021, Radio Canada s'est fait porte-parole d'un autodafé contemporain ( https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1817537/livres-autochtones-bibliotheques-ecoles-tintin-asterix-ontario-canada). Près de 5 000 livres jeunesse, incluant Tintin en Amérique ou Astérix et les Indiens, ont été récemment détruits et recyclés par les bibliothèques du Conseil scolaire catholique Providence, dans l’Ontario, au Canada, car heurtant l'histoire des autochtones par des représentations simplistes et caricaturales . Plus exactement, 155 œuvres différentes ont été retirées, 152 ont été autorisées à rester en place et 193 sont en évaluation actuellement. Au total 4716 livres ont été retirés des bibliothèques du conseil scolaire, dans 30 écoles, soit une moyenne de 157 livres par école. Pour le symbole, mais on connait la force d'un symbole, "une cérémonie de purification par la flamme s’est tenue en 2019 afin de brûler une trentaine de livres bannis, dans un but éducatif. Les cendres ont servi comme engrais pour planter un arbre et ainsi tourner du négatif en positif" lit-on sur le site.
Partant de ce principe, il faudrait bruler, détruire tous les livres passés dès lors qu'une théorie nouvelle, preuves à l'appui, vient contredire le passé, scientifique ou même philosophique. Exit alors Aristote, Platon, Descartes... pour avoir, dans certaines parties de leurs oeuvres, présenté des erreurs sur la nature, entre autres. On objectera que la matière ici de cette destruction au Canada touche les valeurs humaines et l'histoire. Donc revisiter l'histoire nécessite de faire disparaitre des livres ? Ne peut-on pas dire que le contenu n'est pas à prendre en compte à l'heure actuelle, ou plutôt de faire comprendre que toute oeuvre est classiquement le reflet de son époque ?
Nos époques modernes, qui vivent sous la contrainte des minorités, toutes, même s'il faut bien sur y être attentifs pour ne pas se scléroser, ont des schémas plus subtiles touchant au retrait de livres : la censure , ou plus efficacement la justice car telle personne s'insurge contre telle publication, et l'éditeur n'ayant pas d'autres choix que de rappeler les livres pour les supprimer de la vente au public pour ensuite les détruire.
La justice certes mais aussi parfois non pas une institution religieuse directement mais aussi des adeptes. Le livre Les versets sataniques de Salman Rushdie en est un exemple à la fois moderne (fin des années 1990) mais aussi reproductibles très facilement dans des pays où le fanatisme est monnaie courante.
Source, Revue Elephant, 'l'Histoire universelle de la destruction des livres (Fayard, 2004), Fernando Báez explique : « Le feu a été l’élément essentiel dans le développement des civilisations […] mais c’est aussi un pouvoir destructeur. En détruisant par le feu, l’homme joue à être Dieu, maître du feu de la vie et de la mort. […] La raison de l’utilisation du feu est évidente : il réduit l’esprit d’une œuvre à de la matière. » Cela nous donnerait une vision symbolique positive, mais nous pensons que le feu est l'acte de mort et de guerre avant tout, et non de purification.
Nous n'allons pas jusqu'à dire que le livre et ses destructions publiques et symboliques soient consubtancielles entre eux car les cas sont "isolés" dans le temps et dans l'espace culturel ou religieux, mais le livre, diffuseur de savoir, de vérités (ou de mensonges), reste un outil politique et de pouvoir, et qui dit pouvoir, dit aussi contre-pouvoir. Que les autodafes soient de feu ou plus subtilement réalisés, le principe est le même, détruire ce qui va contre le pouvoir et les croyances religieuses.