En guise de découverte, quelques exemples volontaires ou non, sérieux ou moins sérieux :
- Francis Ponge (Recueil Méthodes) donne une première lecture de ce qui suivra : "Je t'invite à faire la lecture de l'écriture de ma lecture de ce que j'écris".
- Extrait du livre "Ma Thémagie" de Douglas Hofstadter : "tout l'intérêt de cette phrase tient à ce que l'on veut clairement y faire comprendre en quoi consiste tout l'intérêt de cette phrase" ! .
-Du sociologue Edgar Morin (La connaissance de la connaissance, La Méthode vol 3), 3 phrases très sérieusement écrites :
"Toute connaissance acquise sur la connaissance devient un moyen de connaissance éclairant la connaissance qui a permis de l'acquérir"
"il n'y a pas de connaissance sans connaissance de la connaissance »
"les neurones sont des computants computés par des computations issues de leur inter-computations"
- De Nassim Nicholas Taleb (le Cygne Noir, prologue) : "nous n'apprenons pas spontanément que nous n'apprenons pas ce que nous n'apprenons pas".
- De Ludwig Wittenstein (tractatus logico philosophicus) : "Ce livre ne sera peut-être compris que par qui aura déjà pensé lui-même les pensées qui s'y trouvent exprimées...
- de Salvador Elizondo (Graphographe), grand écrivain mexixain dans les années 60
: "J’écris. J’écris que j’écris. Mentalement je me vois écrire que j’écris et je peux aussi me voir voir qui écris. Je me rappelle écrivant déjà et aussi me voyant qui écrivais. Et je me vois me rappelant que je me vois écrire et je me rappelle me voyant me rappeler que j’écrivais et j’écris en me voyant écrire que je me rappelle m’être vu écrire que je me voyais écrire que je me rappelais m’être vu écrire que j’écrivais et que j’écrivais que j’écris que j’écrivais. Je peux aussi m’imaginer écrivant que j’avais déjà écrit que je m’imaginais écrivant que je me vois écrire que j’écris."
- Pierre Dac (Arrières pensées) :
"il vaut mieux être sur de l'incertain qu'incertain de la certitude"
"mieux vaut s'attendre au prévisible que d'être surpris par de l'inattendu"
"l'homme fort a parfois des faiblesses d'autant plus fortes que les circonstances lui interdisent d'être faible"
"ce n'est pas n'importe qui qui peut être quiconque"
Néanmoins, nous n'avons retenu ci-après que la structuration des énoncés d'un livre remarquable (et néanmoins assez difficile) : NOEUDS de Ronald D. Laing (1927-1989), de l'école antipsychiatrique au Royaume Uni. Nous avons pris le parti de ne prendre ces phrases qu'en dehors du contexte psychiatrique dans lequel Ronald D. Laing a écrit ce livre (et les stratégies des rapports à l'autre de ses patients) en illustration des littératures complexes (la littérature est à prendre ici en dehors d'un contexte purement narratif, fictif, littéraire) :
Cela blesse Jack
de penser
que Jill pense qu'il la blesse
en étant blessé
de penser
qu'elle pense qu'il la blesse
en la faisant se sentir coupable
de le blesser
en pensant (elle)
qu'il la blesse
en étant blessé (lui)
de penser
qu'elle pense qu'il la blesse
par ce fait que
da capo sine fine
Si je ne sais pas que je ne sais pas je crois que je sais
Si je ne sais pas que je sais je crois que je ne sais pas
Je n'ai jamais eu ce que je désirais
J'ai toujours eu ce que je ne désirais pas
Ce que je désire
je ne l'aurai pas.
Dès lors, pour l'avoir
je ne dois pas le désirer
puisque j'ai seulement ce que je ne désire pas
Je ne puis avoir ce que je désire
Je ne désire pas ce que j'ai
Je ne puis l'avoir
parce que je le désire
je l'ai
parce que je ne le désire pas
...
Jack peut voir qu'il voit
ce que Jill ne peut voir
et que Jill ne peut voir que Jill ne peut le voir
Jack peut voir qu'il voit
ce que Jill ne peut pas voir
mais Jack ne peut pas voir
que Jill ne peut voir
Que Jill ne peut le voir
Jack essaye de faire voir à Jill
que Jack peut voir
ce que Jill ne peut voir
mais Jack ne peut voir
que Jill ne peut voir que Jill ne peut pas le voir
Il est mal de me sentir mal
et mal de me sentir bien
parce que plus on est mauvais
moins on se sent mauvais
Il y a quelque chose qui cloche chez moi parce que
je ne sens pas ce qui cloche chez moi
Je sens que vous savez ce que je suis censé savoir
mais vous ne pouvez me dire ce que c'est
parce que vous ne savez pas que je ne sais pas ce que c'est
Vous savez peut être ce que je ne sais pas, mais pas que je ne le sais pas
et je ne peux pas vous le dire. Il faudra donc que vous me disiez tout
L'introduction du livre "Noeuds" (Editions Stock) est celle-ci : "Les situations esquissées ici n'ont pas encore été classifiées par un Linné de la servitude humaine. Peut-être sont-elles toutes étrangement familières. Dans ces pages, je me suis borné à exposer quelques-unes seulement de celles dont j'ai été effectivement le témoin. Les termes qui viennent à l'esprit pour les désigner sont : noeuds, enchevêtrements, impasses (en français le texte), disjonctions, cercles vicieux, blocages. J'aurais pu rester plus près des données brutes que ces schémas traduisent. J'aurais pu aussi les développer davantage, en tendant vers un calcul infinitésimal logico-mathématique et abstrait. J'espère ne les avoir pas simplifiés au point qu'on ne puisse remonter aux situations spécifiques d'où ils procèdent, mais néanmoins les avoir suffisamment dégagés de leur "contenu" pour que l'on entrevoie l'ultime élégance formelle de ces textures de la maya (ensemble des illusions qui constituent le monde selon les doctrines orientales) ".