Georges PEREC

La disparition, les revenentes

et autres écrits

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Son abondante littérature, en grande partie d'inspiration oulipienne (cf Oulipo) est remarquable pour au moins cinq livres :

- La disparition : roman policier de 280 pages écrit en totalité avec des mots qui ne contiennent pas la lettre E, la plus utilisée dans notre langue. Son livre, Les "revenentes", un peu moins spectaculaire, est écrit avec des mots n'ayant qu'une voyelle, seulement le E. Mais le plus impressionnant est qu'il a été traduit en anglais en gardant la même contrainte (titre du livre anglais : A Void)

- La vie mode d'emploi : l'histoire est celle de la vie de locataires d'appartements d'un immeuble. Cependant, tout est construit sur la base de bi-carrés latins orthogonaux (carrés magiques de 10*10, ou schéma de la polygraphie du cavalier du jeu d'échecs). Ce résumé ne donne pas vraiment toute l'importance de la construction mathématique de l'ouvrage. Il a fallu à l'auteur des cahiers entiers de préparation pour ne sortir que l'ébauche du livre. Claude Berge (membre fondateur de l'Oulipo) a collaboré avec Georges Perec à qui il a proposé l’usage du bicarré latin d’ordre 10 pour répartir les attributs dans les différentes pièces de l’immeuble décrit dans La Vie mode d’emploi.

- W, ou le souvenir d'enfance : livre construit selon deux parties distinctes avec dans chacune d'elles deux parties. Il y a donc quatre plans-miroirs qui font de ce livre un roman (auto)-biographique réflexif...

- Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? A travers un texte quelque peu loufoque, même s'il raconte une histoire, qui n'est d'ailleurs qu'un prétexte, G. Perec a introduit une foultitude de procédés littéraires pour lesquels il a d'ailleurs crée un index en fin de livre : abrégé, adage, alexandrin, allusion, anaphore, antonomase, antonymie, apocope, calembour, chiasme, circonlution, diaphore, ellipse, épiphrase, euphémisme, métathèse...Quelques dizaines, ou peut-être G. Perec a-t-il atteint 100 ou 200 procédés ? L'index se termine à la lettre P par 'etc, etc., etc.', Perec ne finit-il donc pas d'écrire ?

La disparition, Editions Gallimard / L'imaginaire
La vie mode d'emploi, Livre de poche ; Editions Zulma (fac similé des cahiers manuscrits)

"La disparition" (copyright Denoël)

...Anton Voyl n'arrivait pas à dormir. Il alluma. Son Jaz marquait minuit vingt. Il poussa un profond soupir, s'assit dans son lit, s'appuyant sur son polochon. Il prit un roman, il l'ouvrit, il lut ; mais il n'y saisit qu'un imbroglio confus, il butait à tout instant sur un mot dont il ignorait la signification. Il abandonna son roman sur son lit. Il alla à son lavabo ; il mouilla un gant qu'il passa sur son front, sur son cou. Son pouls battait trop fort. Il avait chaud...

 


Perec et les poèmes matriciels dans son livre "Alphabets"

"Un soir, le fatal tournis effleura ton sinus folâtre : il troua en sifflant, rusé, oisif, l'outre nasale. Tour influent ! Soif, râle : le tarin soufflé, sorti à nu."

Curieux poème que nous offre Georges Perec dans les années 70. Dans son recueil intitulé Alphabets, les 176 textes ressemblent à celui-ci.

La clé n'est pas à chercher dans le sens du texte : là où la plupart des écrivains jouent plutôt sur le registre de l'émotion et puisent dans leur sensibilité leur inspiration, Perec, lui, utilise le registre mathématique.

La contrainte du tableau : "Perec, avec les 11 lettres E S A R T U L I N O, et à chaque fois une des 16 lettres restantes, disposées en matrices, a construit 176 poèmes !" Ici, la contrainte est mathématique. Voici comment le poème ci-dessus a été écrit. 

1.
Prendre dix lettres de l'alphabet 
2. Parmi les 16 lettres restantes, en choisir une. 
3. Placer 11 fois chacune dans une matrice 11x11 de sorte qu'une lettre ne puisse apparaître qu'une fois par ligne. 
4. Lue de gauche à droite puis de ligne en ligne de haut en bas, cette matrice de lettres doit donner lieu à une interprétation intelligible.

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Un soir, le fatal tournis effleura ton sinus folâtre : il troua en sifflant, rusé, oisif, l'outre nasale. Tour influent ! Soif, râle : le tarin soufflé, sorti à nu.

Pas facile ! Et pourtant, Perec, avec les 11 lettres E S A R T U L I N O, et à chaque fois une des 16 lettres restantes, disposées en matrices, a construit 176 poèmes !

Il ne s'est d'ailleurs pas arrêté là. Un autre de ses recueils, intituléMétaux, comporte 7 poèmes, écrits avec 14 lettres E S A R T I L U N O D M, une lettre spécifique à chaque poème et une lettre joker. Perec publie également La Clôture, recueil de 17 poèmes réalisés avec 12 lettres : E S A R T I L U N O C et un joker.

» Un autre exemple : "Songe, altruiste gai luron, à l'urgent soir : Un goliat s'engloutira, sénile, s'outrageant. Rois gluants ! Glorieuse nuit à l'ogre rigolant sur son auge-lit."