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LES DICTIONNAIRES

L'univers des dictionnaires est d'une richesse insoupçonnée parce que ces livres très particuliers procèdent d'une organisation à trois niveaux : le classement (la taxinomie lexicale), la dimension temporelle et historique (notamment mais pas uniquement l'étymologie), la transmission ordonnée du savoir (également "contrôlée"). Comme il serait réducteur d'introduire le monde des dictionnaires au Larousse, Littré, Robert et autres ouvrages connus, c'est par une première liste de dictionnaires que nous aimerions vous faire partager l'immense richesse du savoir humain ordonné : dictionnaire des langues imaginaires, dictionnaire universel Larousse du XIXe (pas les autres éditions), le Dictionnaire Khazar, le Dictionnaire Vidal (médicaments), le Dictionnaire des procédés littéraires (dit Gradius), Dictionnaire des synonymes et des nuances, Dictionnaire des symboles, Dictionnaire des personnalités (Who's who), du Diable, etc. N'oublions pas naturellement tous les titres récents "dictionnaires amoureux" (chez Plon) de la musique, de la langue française, des faits divers, du journalisme, de l'humour, du crime, de Paris, de Tintin, du Louvre, de la télévision, et même le dictionnaire amoureux des dictionnaires (une approche très borgésienne)... plus d'une trentaine de titres au total. Cette liste serait sans fin (ou presque). Jean Pruvost Lexicologue, historien de la langue française dénombre dans sa collection personnelle 10 000 dictionnaires français différents depuis 5 siècles environ.

Penser et classer, est-ce là la caractéristique de l'homme moderne (ou du moins depuis Les Lumières) ? Trouver ses repères, plonger dans la connaissance qui fait référence, réduire le monde toujours plus vaste et informationnel proche de sa sphère personnelle ? A tel point en fait que le nombre de dictionnaires croit de manière très importante ces dernières années, sur tous sujets. Il est vrai que ces dictionnaires sont des écritures personnelles de leurs rédacteurs, parfois ou souvent empreints d'une narration plus que d'une épopée de définitions ; la série des "dictionnaires amoureux" chez Plon évoqués ci-dessus procèdent ainsi de l'écriture ordonnée et littérale plus que de la taxinomie.

Le savoir devient global, organisé, cohérent, sphérique dirions-nous car chacun des dictionnaires rentre dans une sphère qui lui est propre par sa thématique. Le champ d'écriture du "dictionnaire pratique des entreprises familiales" ne fera jamais le bonheur d'un lecteur du Dictionnaire de la Méditerrannée ou de la Bourgogne (et inversement). Le Dictionnaire des idées reçues (Flaubert), celui de la Bêtise (JC Carrière), du Jazz,des rêves, des Symboles musulmans ont peu de chances d'être interchangeables. A l'inverse chaque dictionnaire de langue a ses spécificités rédactionnelles et historiques mais restent en partie interchangeables pour celui ou celle qui cherche une information de base.

Faudra-t-il qu'à l'avenir, les dictionnaires classiques de la langue française et des noms propres fassent figurer aux côtés des définitions, étymologies, contraires, etc. la référence aux autres dictionnaires qui les complèteraient ? Ce serait une bonne idée pour introduire des nuances, rester dans le champ du partage, de la diffusion de la connaissance, de la 'reliance'. Bien sur si tous les dictionnaires procédaient ainsi, il n'y aurait plus de créativité puisque chacun contraindrait le tout. Nous pensons que les nuances peuvent être un complément aux rubriques des entrées des dictionnaires usuels.
Là plus qu'ailleurs, les liens hypertextes du web ont un rôle d'approfondissement des recherches pour les élargir, plus que pour approfondir les nuances d'un seul terme. L'ère digitale dans laquelle nous vivons est plus rapide et superficielle que riche et profonde car le temps de lecture d'une page internet se compte en quelques secondes au plus. L'instant présent, rapide par définition, compte plus que la recherche longue, patiente, pertinente.

L'on est passé d'une longue époque jusque récemment avec à notre actif peu de dictionnaires (toutes choses étant égales par ailleurs) à une profusion en tous genres, et cette fois-ci sans que l'on n'ait à parler de près ou de loin d'internet (sic !). La question se pose donc de la notion de référence sur chaque dictionnaire, que l'on puisse leur prêter une légitimité suffisante pour servir de base à l'ensemble étudié. C'est ainsi qu'il faudrait séparer les dictionnaires qui se veulent des références et ceux qui sont des oeuvres littéraires (dictionnaires amoureux notamment). Le Dictionnaire des mots de la musique a plus de chance d'être une référence que le Dictionnaire amoureux de Venise. Le terme dictionnaire semble galvaudé par le regroupement de termes sur un même thème, plutôt que l'exhaustivité référentielle de ce thème.

Borgès serait ravi, enchanté de ces créations en tous sens. Peut-être y a-t-il ici des reflets de la Bibliothèque de Babel, de ses salles infinies, de ses rayonnages où tout est rédigé...