Ajuster la taille du texte : Aa- | aA+

LES LIVRES-OBJETS

Autour du livre produit à l'unité ou plus exactement fabriqué, initié depuis longtemps par les moines copistes (entre autres car l'éditeur espagnol Moleiro reproduit ces livres d'époque, pour un cout élevé s'agissant de répliques dont il affirme qu'elles sont quasi parfaites même si elles sont imprimées sur des rotatives 6 couleurs), puis l'apparition des épreuves d'artistes signées et augmentées en général d'eaux-fortes, l'on trouve certains livres uniques car transformés en objet. Cela a concerné au départ quelques petits éditeurs mariant la matière et la forme (dans une certaine mesure le contenu), puis cela s'est diffusé avec quelques autres éditeurs qui ont donné des formes aux livres. L'un des premiers livres que j'ai eu avait une forme découpée de telle sorte qu'il soit comme un révolver. C'était un florilège de répliques de films, essentiellement dans des films policiers français, d'où la forme. Le second, du même éditeur était en forme de bouteille de vin, avec quelques textes sur le même sujet : le vin.


Depuis quelques petites années, certainement avec l'essor des outils numériques, du marketing grand public, et de la mondialisation réduisant les coûts de production (quoique l'Italie s'en sorte très bien), l'on trouve une multitude de livres ayant des formes particulières, essentiellement dans le rayon cuisine avec des recettes au Nutella dans un livre ayant la forme d'un pot de Nutella, idem pour le Babybel, etc. Sont-ils des livres-objets ? Au risque de décevoir lecteurs et éditeurs, ce ne sont pas des livres-objets car il leur manque, l'âme, la matière et le travail d'artiste ; ils sont jolis, conceptuellement autoréférentiels, mais industriels.

Une référence alors pour les "connaisseurs" provient des "Editions des Grames", qui ont longtemps exposé au Salon du Livre de Paris. Cet éditeur (sous forme associative) jouait complètement sur les matières et les formes. Notre modeste collection (serait-ce d'ailleurs le bon terme) est composé de plusieurs volumes : première description illustrative : un morceau d'ardoise qui s'ouvre en deux, et au centre duquel des feuilles noires découpées comme la pierre contiennent un texte à l'encre claire (le papier étant noir). Un autre livre de 8 pages, plus la couverture, pèse un kilo, constitué de plomb : la couverture et le dos sont épais, gravés, reliés par une petite charnière et au centre 4 plaques de plomb, gravées d'un "texte". Troisième exemple : un livre minuscule enfermé dans un emboitage de plomb, et une pastille décorative en métal doré avec un fil rouge pour mieux extraire le livre, au dessus pour jouer le contraste gris/doré. L'éditeur travaille le bois (le poirier par exemple), le verre, le papier, les emboitages,pour marier des compositions d'écrivains à des formes inédites et des matières situées en dehors de l'univers direct du papier. Sont-ils des livres ? Dans un sens oui car il y a plusieurs dizaines ou centaines d'épreuves par livre.

Depuis peu, la BNF référence cet éditeur (Ateliers des Grames) dans son fonds, ce qui est chose rare car ces livres se sont pas inscrits à l'ISBN, ne sont pas imprimés au sens classique du terme, et sont globalement assez uniques. Quant aux textes qu'ils contiennent, indépendamment du peu de place à disposition des écrivains, compte tenu des supports eux-mêmes et des contraintes sur les matériaux, ils ne rentreront pas dans le Panthéon littéraire (même si ici est exprimé un jugement de valeur). Mais à vrai dire, peu importe : un écrivain et un éditeur se sont entendus sur la publication d'un écrit pour qu'il soit diffusé. Ainsi que la BNF l'a fait lors d'une de ses premières expositions à son ouverture, matière et forme sont là pour le livre lui-même en tant qu'objet entre les mains, ou à voir, à toucher, à sentir.
Toutes les créations sont possibles, mais à l'instar des oeuvres d'art, tout ne restera pas en rayonnage ou dans les collections.

Enfin, pour revenir sur des livres haut de gamme (pour employer un terme marketing... dont ne se cachent pas certains éditeurs... et pour cause puisqu'il faut vendre des livres chers), peut-on les considérer comme des livres-objets ? Le travail de l'imprimeur est manuel, manufacturé dans le sens noble du terme, sur un nombre d'étapes tellement grand que chaque livre est presque unique, principalement d'ailleurs concernant les cuirs de couverture. Le livre dépasse son rôle de contenu à lire car il se touche, se sent, se caresse, se fait admirer à l'instar d'une oeuvre d'art. Il est objet ici non pas sa forme mais par les matières nobles employées et la réplique qu'il veut offrir. Sur chevalet, en vitrine, ou rangé dans un écrin, sa place n'est pas en rayonnage (ou plus rarement). Son caractère unique (mais non forcément numéroté) donne aux livres d'artiste ou de copie d'anciens, une valeur esthétique et visuelle tout aussi unique. L'objet qui se touche se trouve aussi dans l'univers du livre.