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LE PILON

Ce sujet est aux allures quelque peu dégradantes pour le livre et son éco-système puisque l'on y verra le sort des livres, pilonnés, détruits, un autodafé de l'époque industrielle, généralisé, admis et permanent. Il n'y a pas d'autre point de vue ici que de mettre en lumière une pratique du livre, au même titre que bon nombre de personnes essaient de comprendre le sort des aliments frais au sortir des grandes surfaces, les invendus, les déchets de toute sorte pouvant être recyclés, ou plutôt avec une production plus réduite pour gérer en amont le gaspillage et non en aval.

En 1985, en première année d'études à l'Université, nous devions réaliser un stage, et le sort a voulu que ce soit au centre de distribution du livre Hachette (ce nom est cité sans aucun reproche, tant l'éditeur fait référence en France). Dans l'entrepôt où l'on devait manuellement chercher les livres destinés à répondre aux commandes de libraires, un immense hangar avec des centaines de mètres de rayonnages, une benne aux dimensions imposantes était présente, la benne à pilon, où d'entrée de jeu, le responsable du site interdisait l'accès, non pas forcément aux stagiaires, présent trop peu de temps, mais à tous, pour éviter un marché parallèle et des pratiques de vol ou d'arrondissement de fin de mois au détriment de l'employeur. C'est ainsi, le réglement intérieur devait être appliqué, ici ou ailleurs, un règle se respecte.

L'on dit depuis dix ans (au moins) qu'un cinquième des livres finissent au pilon (100/130 millions de livres en France). Autant pour les ouvrages scolaires, scientifiques cela peut en partie s'expliquer par les changements de programme, les découvertes et avancées scientifiques, autant la répartition entre livres sans images et livres avec images laisse perplexe le mode de consommation des livres : 50% à 80% des romans, essais, ... finiraient au pilon. Les garder couterait très cher en espace de stockage et de coûts logistiques.

Les livres sont recyclés notamment pour l'industrie cartionnière (papier ondulé, carton plat, papier hygiénique). Pourquoi ne pas imprimer des livres sur du papier recyclé ? Les consommateurs n'en veulent pas, et peu d'éditions sont sur du tel papier (Librio par exemple, un libre depuis des années à 2€).

Les livres de poche sont fortement susceptibles d’être pilonnés puisque le coût d’entreposage est beaucoup plus élevé qu’un re-tirage. La presse quotidienne serait affectée à hauteur de 30%, 50% pour la presse magazine, mais ce n'est pas exactement la même chose par rapport aux ouvrages en librairies. La presse ou un magazine sont une habitude de consommation, dépendant de sujets d'actualité. Un livre est toujours une découverte malgré les efforts stylistiques de la 4e de couverture.

Le pilon est alimenté par les invendus et aussi par les retours libraires.Ces livres n’ont pas été expressément commandés par ces libraires (on parle d’office), qui bénéficient en contrepartie de la possibilité de retourner les invendus (remboursés sous la forme d’avoirs). L’éditeur a globalement trois options :

– stockage chez le distributeur, à condition que l’éditeur paye ce stockage qui a un cout (stockage, assurance, ...)

– remise en vente, une option difficile mais possible suivant l'annonce d'un prix littéraire par exemple, d'un décès...

– pilon : les livres sont rachetés à leur poids par l'industrie de recyclage. Cette option coute moins cher (pas de transport, pas de cout de stockage, les provisions sur invendus sont déductibles du résultat).


L'on pourrait trouver beaucoup de solutions à ce sujet du pilon, mais quand on sait que le cout marginal pour passer de 5 000 ex. à 10 000 ex. par exemple est très faible (uniquement le coût du papier et de l'encre), l'éditeur, avec raison, préfère payer un peu plus un tirage et espérer que le livre décolle dans les ventes. C'est un pari d'éditeur tout comme une industrie de recherche réussit ou non une technologie, une mise en marché, une application industrielle...

Cet autodafé de l'ère moderne est collectif, sans responsabilité individuelle. Collectif car les éditeurs, presse et médias veulent promouvoir, comme des modes en habillement, tel style d'écriture, tel type de sujet, ... Le lecteur n'est pas responsable du tirage. La saisonnalité existe en matière de livres : fin d'année (fêtes), rentrée littéraire (septembre), prix litérraires (octobre, novembre), etc, si bien qu'une saison mal gérée laisse inévitablement des invendus. Le monde de l'édition est aussi un monde où l'on gère des risques, des succès, des échecs, des coûts, des rendements, des statistiques, des compteurs de vente, de la communication. Un grain de sable et comme tout produit alimentaire, cela peut être un échec ou un succès. La variété des livres lisse sur la durée ces échecs ou réussites, et un éditeur réussit bien si les seconds l'emportent naturellement sur les premiers.

Le livre à la demande ne saurait répondra aux besoins de lecture, ni les ebooks partiels tant un livre n'est pas un début, ni une sucession de pages prises au hasard pour donner envie ou donner un échantillon de diverses pages du livre pour un pseudo-résumé (à l'instar d'une bande-annonce de film qui ne déroule jamais le contenu du film lui-même mais un patchwork de séquences désordonnées). Le principal étant qu'il n'y ait pas de gaspillage, ou le moins possible. Le coût de fabrication d'un livre, sa diffusion (logistique comprise) ne permettent pas de répondre très vite à la demande de lecteurs, d'où des tirages plus élevés, et mois après mois, il faut faire de la place sur les rayonnages des libraires pour donner de la place à d'autres livres.