LES LIVRES DANS LA PEINTURE
Ce n'est pas un florilège des livres dans la peinture qui occupera ici nos propos (les exemples sont trop nombreux) mais l'indissociabilité en peinture de l'art pictural lui-même avec l'écrit, non comme principe universel mais comme une certaine constante au fil des époques du livre indissociable de l'activité humaine. Nous avons en référence le livre de Michel Butor (chez Flammarion), les mots dans la peinture,pour résumer que le livre à toute époque est plus qu'un objet du quotidien : il est rentré dans l'univers du symbole. Dans nos cultures où l'image est toujours un vecteur de communication (à titre personnel et même professionnel), la référence historique à la Bible dans la peinture fut la base de ce lien originel entre la peinture sacrée et la référence religieuse : la peinture montrait la Bible pour affirmer le lien entre les paroles et leur matérialité. Dans les représentations de St Jérôme par exemple, le livre est ouvert, présent, visible, essentiel à lecture des tableaux de Durer, Cranach, Lorenzo Lotto sans omettre Titien, VanDyck, Véronèse... Des tableaux où l'on voit Dante et naturellement sa La Divine Comédie complètent la liste des livres dans la peinture, mais aussi ceux de Durer "le Christ parmi les docteurs de la foi" (Madrid), Fragonard avec sa "jeune fille lisant", Le Greco avec "Marie Madeleine", et plus majestueusement Arcimboldo dans un de ses portraits où le visage est une composition de livres. Plus d'une centaine de peintres classiques ont représenté des livres, que ceux-ci soient au centre ou non de la lecture de leurs tableaux, ces livres en sont indissociables, chargés de sens, religieux ou profane (on pense à Vermeer avec l'Astronome ou le Géographe).Avec la diffusion rapide du livre à partir du XVe et XVIe siècle, les commanditaires de tableaux aimaient que leur portrait soit inscrit dans leur intérieur de vie où tableaux, livres et bibliothèques donnaient la richesse intellectuelle et patrimoniale de leur demeure, de leur domaine, de leur puissance seigneuriale. Et ainsi, au fil des siècles, même avec une désacralisation des sujets peints, le livre a gardé un rôle important, celui où l'on raconte plus que la peinture, où celle-ci peut trouver une continuité de son histoire dans un livre, ouvert ou fermé, qui par suggestion, nous fait comprendre une profondeur de lecture de l'ensemble pictural dans sa totalité. L'on sait que les détails en peinture sont importants : miroirs, motifs floraux, animaux, les couleurs surtout, la géométrie, la perspective. Le livre est une mise en abyme du tableau, il en donne une profondeur complémentaire : le tableau se lit picturalement et en référence à tel ou tel livre, attribut d'une scène ou d'un personnage.
Le livre plus récemment est devenu un objet de la peinture en tant que tel, presque un élément de décor mais il reste un livre chargé d'histoire même si cela n'est pas ou plus assez visible. Il n'est jamais mis au hasard et il faut savoir le lire picturalement, comprendre sa place, s'interroger sur le geste de l'artiste à le dépeindre. Chez de nombreux artistes (mais de moins en moins souvent au fur et à mesure de la marchandisation de l'art), l'écrit est complément de leur vie, en général des écrits sur leur oeuvre, des correspondances, des théories propres qu'ils ont développées... mais cela ne veut pas dire que l'on trouve chez eux nécessairement des références aux livres. Les monographies sur les peintres sont légions mais les écrits de peintres sont devenus chose rare.
Depuis une petite cinquante d'année (les débuts de l'ouverture des frontières du monde et des frontières de la communication), la création artistique s'est emballée où tout le monde produit ce qui est appelé art, et l'on a perdu considérablement en qualité picturale, en mouvement et échanges artistiques. Corrélativement le livre n'est plus un objet lié à la peinture, ou si peu. Il suffit juste de regarder à la FIAC ou à Art Basel ce qui interesse le public. Le livre est mis parfois en référence en tant qu'objet (banal) de la vie quotidienne (sans employer le terme culturel) et non plus comme fenêtre d'un contenu et d'une histoire plus riches. Et c'est là où l'on peut voir, au premier sens du terme, comment la richesse artistique et culturelle a diminué depuis une bonne moitié de siècle, s'est appauvrie : quel artiste actuel théorise par écrit son travail ? quels mouvements artistiques sont présents et référents dans la multitude artistique ? Savent-ils écrire et lire (pas au premier sens du terme naturellement) ? Les réponses sont dans ces questions.
L'art brut (laissons-nous y mettre des points de suspension...) n'est pas suffisant dans ses matériaux pour affirmer que des journaux, du papier, du bois, des pages de livres, des écritures suffisent à re-lier peinture et livres (ou du moins leur représentation). Laissons au temps laisser passer cette période d'appauvrissement et gageons que le futur sera de nouveau une symbiose picturale et "livresque".
(à la fin de la rédaction de ces quelques réflexions, lors d'une exposition d'art à Cordes (81), nous avons vu quatre tableaux où étaient présents des livres sur la douzaine d'oeuvres présentées...).