Un monde de livres

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LA LECTURE

 

Un monde de livres est aussi synonyme d'un mo(n)de de lectures (et corrélativement de lecteurs).
Même si les traditions antiques étaient le récit épique, la parole qui circulait, la transmission orale, philosophique ou non, même si jusqu'au moyen-age les lettrés lisaient à haute voix les livres, ces pratiques nous semblent être d'un autre monde, d'un autre age, d'autres pratiques presque inconcevables à l'ère moderne. Certes dans les écoles talmudiques la tradition de lecture existe encore mais ces écoles ne sont pas ouvertes au monde extérieur ; la lecture y est circulaire (ce qui ne veut pas dire ininteressante, bien au contraire).


Une lecture moins ancrée dans nos habitudes n'est pas si anormale où malgré le web, les sociétés occidentales et orientales en expansion, deviennent paradoxalement plus individualistes. Nous n'imaginerions pas la lecture à haute voix dans un lieu public, le métro, ou même une bibliothèque, lieu de travail et de concentration individuel s'il en est. La musique aussi est devenue un bien individuel mais se diffuse encore des lieux de représentations, les salles de concerts, les rues lors par exemple de la Fête de la musique. Les lectures publiques sont celles de festivals, et non celles d'une activité commune de partage. La lecture ne se partage plus, ou plutôt se diffuse par des statistiques sur les sites en ligne, les classements dans les journaux grand public. On met en avant le livre pour qu'il soit lu. Mais le livre et la lecture sont deux choses à part.
La lecture n'est pas proportionnelle aux livres vendus ou en circulation, hors le fait que les livres se prêtent et s'échangent. La lecture des livres grand public ne rentre pas dans le cadre de la mémoire collective puisque le livre est un bien de consommation. Les livres plus "élitistes", sous-entendons là ceux d'un tirage moindre, font l'objet de critiques, de fiches de lecture, de compte-rendus... mais dans une sphère à peine plus ouverte que leur lectorat (un terme marketing pas très joli). La lecture n'a d'intérêt pour la collectivité que si elle est certes partagée, communiquée, transmise mais aussi enrichissante pour son lecteur, et pour sa propre sphère personnelle. La lecture individuelle participe de la diffusion culturelle, de la connaissance, de l'enrichissement si elle a un prolongement et se diffuse à d'autres. Et c'est là où la tradition orale peut perdurer : parler de ses lectures est aussi une lecture. Même si garder ses lectures que pour soi n'est pas une attitude ego-centrique ou égoiste, à l'inverse, celle du partage est complètement collective. La restitution de lectures, non pas de livres eux-mêmes, mais d'une activité livresque, se montre de plus en place par la place croissante de l'auto-édition. Les tirages sont moindres, la qualité n'est pas celle de V. Hugo, JL Borges, H. Melville et tant d'autres milliers d'écrivains de tous temps, la postérité n'en retiendra que quelques uns mais le principe est là : la lecture donne le goût de l'écriture. L'écriture inventée auto-éditée sera globalement de moindre qualité que celle passée entre les mains de comités de lecture. Le livre n'est pas un objet culturel parce qu'il est livre. La qualité d'un livre (hors littérature, poésie et théatre compris) se montre davantage à la lueur d'un auteur ayant lu, ce qui n'est pas anormal, et c'est là que jouent l'histoire, la connaissance, la transmission culturelle, l'enrichissement des idées... Cela nous fait penser, même s'il est une exception, à Alberto Manguel, lecteur à 16 ans de Borges devenu presque aveugle, et qui tout au long de sa vie, a travaillé dans le monde des livres, avec un ouvrage de référence : "un histoire de la lecture" (publié chez Actes Sud). 700 pages qui se lisent comme un roman sur le thème de la lecture, certes avec un biais historique, mais qui montre que la lecture peut être vue en dehors des livres eux-mêmes.
Face à des actes obscurantistes de terrorisme où un même livre (ici nous évoquons le Coran) peut être lu différemment (et donc interprété différemment), l'on voit et l'on sait que l'éducation par la lecture est celle menant à la démocratie, à la liberté, à la paix.

Enfin, même si nous pourrions écrire plus longuement sur la lecture, évoquons un sujet qui sera compris par tous, à savoir le lien entre le temps quotidien et la lecture. Le monde va vite, nous le voyons, et la lecture en souffre : le temps passé sur le web ou un smartphone n'est pas de la lecture même si les yeux lisent. La qualité de lecture est moindre : parcellaire, superficielle, incomplète. Le paraitre de nos sociétés contemporaines nivelle l'homme moderne dans un schéma consumériste où le livre a sa place mais moins la lecture. Car tous les livres ne sont pas livres. Hors manuels scolaires, livres pour enfants, de cuisine et très grand public, le pourcentage total restant est faible, moins de 10% pour la littérature, le théatre, la poésie, les sciences, les arts. Et ce sont justement ces livres et donc ces lectures qui enrichissent notre monde (ou qui devraient le faire). Ainsi gérer son temps est aussi celle de la responsabilité de lire pour transmettre cette lecture à son entourage (familial, professionnel, amical...).
Redonnez le goût de la lecture à tous niveaux dans le système éducatif serait d'un enrichissement profitable à tous et aussi pour chacun d'entre nous. La lecture est un partage si la lecture est considérée comme telle.