Un monde de livres

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LES LIVRES MAUDITS

 

L'éditeur "J'ai lu" avait publié dans les années 70 toute une collection sur le thème "l'aventure mystérieuse" (extra-terrestres, magiciens, alchimie, ...), avec ses couvertures rouge grenat et ses lettres jaunes. Jacques Bergier, écrivain, journaliste, auteur du livre "le matin des magiciens", a apporté sa pierre à l'édifice en ajoutant à cette collection le titre "les livres maudits". Cela faisait partie d'une période de réalisme fantastique où l'on parlait très souvent de mystères (ovni, Bermudes... une science-fiction qui sortait de son cadre littéraire pour être porté au cinéma ou la télévision). Même si l'histoire, de la plus ancienne à la plus récente, montre que le livre a été toujours été une base de contre-pouvoir, faut-il comme l'écrit Jacques Bergier croire "qu'il existe une conspiration contre un certain type de savoir, faussement appelé occulte, une conspiration qui couvre tous les pays et se rencontre à toutes les époques. Qui donc brûle les livres maudits ? " Il affirmait que lors de réunions internationales consacrées à la planète, il voyait des hommes en noirs, dont il fait remonter l'origine aux temps les plus anciens, et responsables de l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie. Changement d'époque, changement de moeurs, les actions de l'Unesco par exemple n'a rien laissé entre-apercevoir d'une conspiration noire.
Jacques Bergier mentionne dans son livre les noms et les histoires de John Dee, Kelly, de l'abbé Trithème, le manuscrit dit de Voynich, le manuscrit Mathers, "Excalibur le livre qui rend fou" du scientologue américain Hubbard. Naturellement chaque histoire est empreinte de mystères, d'intrigues, de vérités contre lesquelles l'objection buterait. Notre propos n'est pas de rétablir une quelconque vérité factuelle ou historique mais il sera de deux ordres :

1- "les livres maudits" dans une bibliothèque par Jacques Bergier est un rappel d'une certaine sacralité du livre, comportant une relative auto-référence : ce livre sur les livres maudits est-il maudit puisqu'il éclaire les malédictions qui se sont abattues sur un certain nombre d'ouvrages "importants" et qu'il ne vaudrait pas mieux révéler ?

2- les livres ont toujours été maudits pour partie, à défaut d'être maudits par une conspiration à l'échelle mondiale (à la Dan Brown). L'on parlera naturellement des autodafés, de la censure étatique ou religieuse encore présente, des ré-écritures de l'histoire par le régime soviétique ou chinois, sans oublier les destructions volontaires de bibliothèques (Alexandrie, celles par le régime nazi, ...).

Il y a eu des livres maudits parce qu'ils s'inscrivaient dans des périodes troublées, ou dans des époques de despotisme avancé. Est-ce à dire qu'avec l'ouverture des frontières et du monde (pas uniquement par internet), il n'y ait pas ou plus de livres maudits ? Il est probable que la circulation de l'information à l'échelle planétaire, d'un monde plus ouvert et paradoxalement plus calme, freine l'émergence de livres secrets, qui peuvent déranger... en dehors natuellement des biographies contemporaines dénonçant certaines pratiques de pouvoir.

Une certaine perte de "reliogisité" de nos civilisations contribue également à désacraliser le mystère dans son premier sens. Celui trouve plutôt son nouveau terrain de jeu sur la connaissance ou l'absence de connaissance de phénomènes intrigants, devenus alors mystérieux. Le livre se noie dans l'économie globalisée, a perdu sa part de sacré. Des sites internet consacrés aux hoax (aux fausses rumeurs) traquent tous sujets pour vivre dans un monde où comme l'on dit tout sur tout et beaucoup de bêtises, de contre-vérités, de faussetés, la part du mystère dans les livres est reléguée au second rang, la production audio-visuelle et la BD étant largement plus créatives.

Les mystères deviennent d'un autre ordre : comprendre les arcanes du pouvoir, comprendre l'histoire, la science, le temps, l'homme, la médecine, etc. Dan Brown a reahussé le thème du mystère par une originalité de thème et de style d'écriture mais le livre n'en est qu'un support et non l'objet. Le livre d'Aristote sur le rire du roman d'Umberto Eco "le nom de la rose" était un livre maudit car les lecteurs curieux mourraient. Ce fut dans ce livre un roman de haut vol, et non l'histoire de livres maudits eux-mêmes.

Gardons alors ce livre de Jacques Bergier en référence de la puissance qu'a pu avoir le livre avant que nos économies ne soient digitalisées et qu'il fut la base de diffusion du savoir (et donc du pouvoir et du contre-pouvoir).